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  • : Un jour, une œuvre
  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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17 mai 2012 4 17 /05 /mai /2012 10:09

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Je crois que c’est ce mot qui, pour moi, exprime le mieux ce qu’était cette étoile à mes yeux. L’âge fatidique de 42 ans (qu’elle aura dans quelques semaines) la met à la « retraite » en tant qu’étoile de l’opéra de Paris.

Tout le monde s’accorde à dire que c’est dommage, qu’elle est en pleine possession de sa technique, et que son artistique est sublime. Espérons qu’elle sera « invitée » lors de la prochaine saison et surtout, qu’elle continuera à danser sur d’autres scènes que celles de l’opéra. On ne peut pas l’imaginer s’arrêter maintenant, tant elle a encore à apporter à la danse, aux rôles qu’elle endosse.  Sylvie Guillem (47 ans) lui soufflera peut-être quelques conseils pour poursuivre sa carrière quelques années, même si ça n’est plus à l’opéra ?

 

Je me rappelle nettement chacun de ses rôles vus au cours de ces douze dernières années. (C'est à dire depuis que je suis retournée à l'opéra, après que je l'ai fui à la mort de Noureev) J’ai envie, à travers la galerie de personnages que je vais évoquer, de rendre hommage à une artiste vraiment à part, qui a toujours montré une grande discrétion et beaucoup d’humilité

 

J’étais frustrée l’an dernier, de ne pas pouvoir voir sa Juliette, car elle a été retirée des distributions sans que l’on sache pourquoi… j’aurais aimé la découvrir dans ce rôle qu’elle aurait sûrement rendu attachant, émouvant, plein de poésie, de lyrisme, de force et de grâce.

 

La première fois que j’ai vu Clairerarie, c’était dans le documentaire consacré à Nicolas Leriche. Elle était alors sujet, et elle dansait un pas de deux à la Flèche d’or sur une musique de Ravel avec son mari. Je me rappelle très bien ce passage, vu il y a plus de quinze ans. Elle y affichait une liberté de ton qui m’avait plu. Avec ses cheveux mi longs bouclés, sa robe à jupe évasée, elle incarnait la jeunesse, la grâce et une certaine « impertinence » voulue par la chorégraphie. « Voilà une danseuse différente des autres », m’étais-je dit devant mon écran.

Par la suite, j’ai pu la revoir dans de très nombreux rôles où elle m’a chaque fois profondément marquée

 

Elle avait su donner à Marie (Clavigo) une fragilité exceptionnelle et un lyrisme puissant. Je revois trèsclairemarie_osta_-_photo_anne_deniau_-_caligula_400x0.jpg nettement son solo dans la chambre, juste avant le « cauchemar ». Sa Marie se laisse séduire, souffre, meurt. Le spectateur vit chacune de ses émotions avec elle, jusqu’au bout. Ses duos avec Clavigo étaient intenses, pleins de profondeur. Il nous reste à la fin du ballet, l’image d’une jeune fille romantique brisée, partie trop tôt.

 

Dans la Maison de Bernarda de Mats Ek, elle est une sœur bossue bouleversante. On peut toucher du cœur l’âme de cette fille rejetée et mal aimée. Elle est poignante. Dans le solo où elle apparaît dans un académique chair avec le sexe et les seins marqués, son héroïne montre toute sa richesse intérieure, tout son moi profond. Pendant ce solo où elle est nue, elle offre son âme au spectateur, elle la met à nu. Aujourd’hui encore je me rappelle l’intensité de son interprétation, à la fois d’une grande force, mais pleine de souffrances, et de cette envie de dire qui elle est vraiment. 

 Clairemarie a toujours insufflé à ces personnages une profondeur, beaucoup de personnalité, d’intelligence ; elle a construit ses rôles avec une attention, une compréhension   personnelle, subtile, qui révèle une artiste très sensibilité – mais sans aucun pathos – chez qui la grande poésie épouse une imagination débordante.

 

À cette liste de rôles inoubliables, ajoutons sa Lune dans Caligula : comment fait-elle pour rendre aussi évanescente, impalpable ce fantasme convoité par Caligula, qui l’attire hors du  ciel pour mieux la briser ? Ses ports de bras, souples, sa grâce, sa présence irréelle, tout charme Caligula, amoureux d’elle à la folie. Là encore, je m’étonne d’avoir des pans entiers de « vidéos » dans ma mémoire que je peux me repasser à loisir ! Chacun des passages de cette artiste s’est gravé, comme sur un film sur lequel le temps n’a pas de prise. Lorsque je me plonge dans ces souvenirs de danse, tout est intact !

Pourtant, pas de technique à la Zakharova ou à la Guillem ! Une apparence presque frêle sur scène. Mais une intelligence, une compréhension des personnages qu’elle sait rendre uniques ! Et puis une part d’enfance, toujours disponible, de fraîcheur.

 

Je n’oublierai pas non plus son duo dans Appartement. Cette année, son interprétation était plus « cinglante »  que les années passées. Animée d’un grand feu intérieur, elle a donné à ces quelques minutes de duo autour de la cuisinière une intensité encore jamais égalée, malgré le répondant un peu mou de son partenaire (Bélingard au lieu de Belarbi). Son énergie, sa force y étaient totalement déployées dans toute leur puissance.

 

Ajoutons pour compléter cette galerie de personnages tellement attachants, la Ballerine dans Pétrouchka. Là aussi, je suis confondue d’étonnement de revoir très précisément le travail de ses petits pieds qui forgeaient chaque note de la partition comme des colliers de perle ; je revois sans peine son visage, ses expressions, ses grands yeux, sa délicatesse. Sa ballerine enfantine, candide, irréelle et humaine tout à la fois était  tellement attachante !

 

Je l’aurai vu encore cette année dans Tatiana (Onéguine) où elle donne à son personnage beaucoup de personnalité, de fragilité, de détermination, et de poésie. Là encore, une conception intelligente du rôle : cette Tatiana est déjà très affirmée dès les premières minutes du ballet ; on sent qu’elle a beaucoup lu et compris beaucoup de choses toute seule ; qu’elle porte un regard distant sur le monde,  et que son amour pour Onéguine va venir perturber sa vie à tout jamais.

 

Elle fut aussi le plus joli Cupidon jamais vu dans Don Quichotte ; une précision musicale dans ces variations, avec tout ce qu’il faut de léger, de virevoltant, de précis, de ciselé, d’enjoué, de vivant… Ses mouvements de tête d’une incroyable vivacité et si musicaux, synchronisés avec les coudes, les jambes rappelaient les pinsons qui chantent et sautillent gaiement dans les jardins.

 

828e7039a5509877aa0e83b101f8ba4247ccaf07.jpgA l’opposé, le magnifique premier pas de deux de In the night de Robbins. Impossible de décrire son lyrisme, le moelleux de ses bras et de son buste, l’abandon de ses poses, mais toute en retenue, et sa grâce. Et sa profonde compréhension de la musique, du monde nocturne et romantique.

 

Bouleversante dans la Petite danseuse de Degas, il  n’est pas excessif de dire qu’elle a sauvé à elle toute seule ce mauvais ballet ; là encore, elle insuffle à cette adolescente dominée par une mère diabolique ce qu’il faut de candeur, d’espoir, d’admiration, de jeunesse. Par un regard, un port de tête, elle exprime toutes les nuances et les contradictions du personnage. Sa petite danseuse est un trésor : émouvante au-delà des mots, on suit toutes les péripéties du ballet parce qu’on s’est profondément attachée à elle, et qu’on veut l’accompagner, ne pas la perdre.

 

 

Encore un rôle qui montre à quel point Clairemarie sait être une interprète d’exception : l’Eveil dans un autre mauvais ballet : Siddharta. Elle donne de la consistance à un personnage superficiel, créé par un chorégraphe qui n’a jamais dû se pencher en profondeur sur la spiritualité – ou en tous cas, qui n’en a gardé que l’aspect «  tape à l’œil ».

 

Dans Apollon Musagete, elle est une muse hors : voilà ce que j'ai écrit sur elle" Clairemarie est une interprête de génie qui réveille l'ensemble; elle se révèle bien plus qu'une ballerine : une artiste à part entière (...) dès qu'elle n'est plus sur scène, l'oeuvre retombe dans l'ennui.

 


Je finirai avec sa Carmen : très sincèrement, je ne peux pas dire que j’adhère vraiment à ce qu’elle a fait de ce personnage, le tirant plus du côté du léger, que du fatal! C'est un choix!

Mais l’autre jour, j’ai montré un extrait vidéo à mes élèves : la mort de Carmen -  Nous avions travaillé sur la scène de la manufacture version Rosi (opéra) et version Saura (flamenco). Ils voulaient tous voir comment Carmen mourrait. J’ai tout de suite pensé à elle. Je leur ai lu le texte de Mérimée puis montré l’extrait correspondant. Certains élèves ont été profondément marqués par son interprétation. (Et pourtant des adolescents de banlieue !) Voilà la magie d’Osta !

Cette artiste va beaucoup manquer à l’opéra. Clairemarie est un mélange étonnant d’enfance, d’intelligence, de poésie, d’émotions à vif mais retenues, sur le fil. Elle s’est emparée de tous ces personnages avec son cœur, mettant sa technique   à « leur service », avec toujours une grande simplicité, mais aussi tellement de finesse, de subtilité et surtout de profondeur.   

J’ai eu plaisir ce matin à me remémorer tous ces fabuleux souvenirs. Je n’ai pas vu sa Manon, mais en lisant les articles des uns et des autres, il est clair qu’elle a aussi apporté beaucoup à ce personnage.

 

Ce petit article est un hommage à une artiste qui a profondément marqué la spectatrice passionnée que je suis. Je n'ai commenté que les personnages vu sur scène. Je n'ai pas vu tous ses rôles

Voici sur le site " danser" sa fiche complète : Clairemarie Osta

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commentaires

A
<br /> une artiste qui manquera... assurément<br />
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